SAAQclic ou la carence de leadership au sein de l’État québécois
Les projets technologiques gérés par l'État ont été historiquement voués à l'échec... mais a-t-on vraiment besoin d’un DOGE ici?
Hola.
Débarrassons-nous tout de suite du volet me, myself and I de mon infolettre (lire: mes apparitions médiatiques): j’ai récemment donné une entrevue sur la fraude de type «grands-parents» à TVA et une autre sur la revenge porn à ICI Saskatchewan. J’ai aussi participé au podcast Couple ouvert récemment, avec Thomas Levac et Stéphanie Vandelac. Le tout a été enregistré le 4 février dernier et un extrait est disponible sur YouTube (la version complète est sur leur Patreon):
Avec tous les cachets que j’ai récoltés ici et là ces derniers temps, je pourrais presque me payer un mois de loyer dans un deux ½ non chauffé au coin des rues Darling et Ontario.
Au menu cette semaine, dans le théâtre des risques technologiques: les liens de plus en plus évidents entre DOGE, Trump et le Kremlin; le gouffre financier de SAAQclic; et Wikipédia dans la mire d’Elon Musk.
Have phun.
🫠 Le edgelord Elon Musk

Je me suis dit que j’allais moins parler d’Elon Musk cette semaine – essentiellement parce que je suis tanné du gars –, mais voici quand même quelques faits marquants de l’actualité concernant l’homme le plus riche du monde, qui a passé son temps à être aussi cringe que défoncé pendant qu’une de ses baby mamas l’a apostrophé publiquement pour lui demander de s’occuper de son enfant malade:
TechCrunch a un excellent recensement des gens qui composent la garde rapprochée de Musk dans DOGE;
Les carottes sont probablement cuites pour la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency – celui qu’ils surnomment «Big Balls» est sur le cas;
Lors de mon entrevue d’il y a environ deux semaines à l’émission 24-60, j’avais spéculé que le désir d’implantation de l’IA dans les systèmes gouvernementaux était une manière de maintenir un semblant de service aux payeur·euses de taxes tout en évacuant l’humain de l’équation (la création de capital sans labeur); on dirait bien que l’actualité me donne raison;
DOGE ne comprend rien à la comptabilité gouvernementale.
Bref, Elon Musk est comme l’herpès: il revient constamment.
Maintenant, assez parlé de lui; il y a d’autres sujets déprimants à couvrir cette semaine.
🕵️ La filière KGB de DOGE vers Trump
Pendant que Brian Krebs a bien résumé le bordel avec DOGE, la CISA et tout le reste, Jacob Silverman a publié un article révélant que le grand-père d’Edward «Big Balls» Coristine était un espion du KGB. Normalement, ce fait serait tout au plus anecdotique, mais, compte tenu du repositionnement pro-russe des États-Unis, l’hypothèse selon laquelle Donald Trump aurait été formé comme taupe par les services secrets russes depuis les années 80 et la récente publication de l’ancien chef du renseignement kazakh sur Facebook apportent énormément d’eau au moulin de ce qui constituerait le plus grand coup de l’histoire de la Russie: placer leurs pions aux plus hauts échelons de l’administration américaine.
Du moins, ce qu’il en reste.
Plus près de chez nous, la journaliste Emmanuelle Latraverse, qui se positionne de plus en plus à droite, et la chroniqueuse Nathalie Elgrably-Lévy, également administratrice de l’Institut économique de Montréal, un think tank ayant longtemps promu la réduction de l’État (hmm, tiens donc!), ont ouvertement plaidé pour la création d’un DOGE canadien. On sait pourtant que l’équipe du DOGE et Musk ont menti sur leurs accès au sein de l’appareil fédéral américain et sur ce qu’ils y font vraiment. Ils ont en outre démontré qu’ils ne comprennent strictement rien aux données qu’ils manipulent (voir mes infolettres des dernières semaines à cet effet).
À ce stade-ci, j’en déduis qu’il existe deux types de personnes en faveur du DOGE: les idiot·es utiles et les crinqué·es idéologiques. Les premières ne comprennent pas ce que DOGE fait vraiment, tandis que les secondes le comprennent très bien et approuvent sans complexe ce takeover d’extrême droite économique.
Je vous laisse classer Latraverse et Elgrably-Lévy dans la catégorie de votre choix.
🤢 Le projet honteux de SAAQclic
Le gaspillage des fonds publics est dans l’air du temps. En règle générale, TVA couvre assez bien les déboires informatiques du gouvernement provincial. Par contre, le titre de cet article m’a fait tiquer solide:
Sérieusement? Encore un autre amalgame douteux, pour ne pas dire débile. Je vous laisse deviner qui a tenu de tels propos (indice: son nom commence par «Emmanuelle» et se finit par «Latraverse»).
Si l’histoire de SAAQclic est un bel exemple de dilapidation honteuse des fonds publics, le danger ici, c’est d’appliquer cette dénonciation parfaitement légitime à l’ensemble des programmes gouvernementaux qui ne font pas notre affaire. Il y a une grosse marge entre vouloir éviter les gouffres financiers, comme de plus en plus de projets technologiques du gouvernement semblent le devenir, et considérer n’importe quel programme, qu’il soit de type DEI (diversité, équité et inclusion) ou non, comme étant du «gaspillage».
S’il y a beaucoup de talents dans les rank and file au gouvernement, là où c’est moins impressionnant, c’est au niveau du leadership (lire: hauts fonctionnaires).

Fun fact: il y a plusieurs années, une ministre dont je tairai le nom m’a convoqué afin de discuter de la meilleure approche pour jaser cybersécurité avec les ados. Au cours de l’entretien, après que je lui avais fait quelques suggestions, la ministre m’a dit à brûle-pourpoint: «Écoute, Jean-Philippe, je ne peux rien faire bouger au sein de mon propre ministère. Certains hauts fonctionnaires bloquent systématiquement toute tentative de changement de cap ou d’innovation.» Je suis resté sur le cul, mais ça m’a permis de comprendre où se trouve le problème dans la fonction publique. C’est le genre de candeur qui est rare chez les politicien·nes, et je sais très bien l’apprécier.
Si on peut certainement couper dans le gras au niveau de l’appareil gouvernemental, une rafale de mitraillette à la DOGE où tout le monde y passe (sauf les loyalistes et les licheux de botte, bien sûr) est la DERNIÈRE chose dont on a besoin. Les gens talentueux qui travaillent pour l’État n’ont pas à écoper des mauvaises décisions de leurs boss pourris. Et, ultimement, l’État DOIT servir de contrepoids aux grandes entreprises, sans quoi on risque de se retrouver devant un monstre déséquilibré (aka une oligarchie), comme c’est le cas aux États-Unis présentement.
Faque, non merci, Emmanuelle. Tu peux garder tes suggestions pour toi et te contenter de faire ce que tu fais le mieux (lire: harceler et intimider des gens en dessous de toi).
🎯 La prochaine cible de l’extrême droite: Wikipédia

Okay. Il est encore question d’Elon Musk, mais je vous jure que c’est la dernière fois que je parle de lui cette semaine.
On le sait: Musk n’est pas très friand de faits. Ses récents assauts répétés contre Wikipédia ont poussé Jimmy Wales à prévenir son détracteur que Wikipédia n’est pas à vendre. Parallèlement, le journal français Le Point, classé islamophobe et associé à la droite identitaire, a récemment publié une lettre ouverte qui a été signée par quelques douzaines de personnalités publiques. Ces dernières y dénoncent le supposé biais de l’encyclopédie collaborative en ligne, sans donner d’exemples concrets, bien sûr.
Le projet d’encyclopédie ouverte et libre qu’est Wikipédia représente une menace non seulement pour les tendances révisionnistes de Musk, Trump et cie, mais pourrait aussi agir comme contrepoids à l’«everything app» alimentée par Grok3 du multimilliardaire sud-africain. Il ne faut donc pas s’étonner de voir les diverses forces réactionnaires converger contre l’entreprise de Wales.
(Remarque: en règle générale, si ta lettre est signée par Bernard-Henri Lévy, ça veut dire que c’est un torchon.)
En rafale:
Pentagon fast-tracks ‘Cyber Command 2.0’ review, requests authorities wish list, The Record;
Au lieu de se conformer à une injonction judiciaire britannique exigeant qu’il crée une backdoor (porte dérobée), Apple décide de retirer la protection avancée des données d’iCloud au Royaume-Uni;
The New Fascist International: Technocratic Oligarchy and the Threat to Democracy, The Structural Lens;
La Maison-Blanche a exposé des agents de la CIA sous couverture dans un courriel maladroit (ou mal intentionné?);
Javier Milei’s Crypto Scandal Is Part of a Larger Network of Grift and Graft, The Nation;
Pegasus spyware infections found on several private sector phones, The Record.
Merci encore à toutes les personnes qui ont répondu à ma demande d’aide pour cette infolettre la semaine dernière. Honnêtement, je ne m’attendais même pas à recevoir une seule réponse, c’est pourquoi j’ai omis de faire la liste de mes besoins. 😅 Je vous reviens donc très bientôt avec quelque chose de plus structuré.
Je serai à SéQCure cette semaine; si vous y serez aussi, venez me voir et on pourra avoir une conversation malaisante sur les statistiques de PornHub.
Bonne semaine!